Interview
Valentin fait entendre ses idées sur scène
Il était ingénieur, mais sa bonne étoile lui a indiqué une autre voie pour mieux faire passer ses messages…
La première personne que je souhaitais rencontrer pour ce projet est Valentin, comédien de son état. J’avoue, je triche un peu pour ce début : je connais Valentin – mais pas trop. Juste de quoi être à l’aise, tout en me laissant le plaisir de la découverte. Il y a deux ans, ce trentenaire a donné un grand coup de pied dans sa vie rangée d’ingénieur et a décidé qu’il s’amusait nettement plus sur les planches, au point de l’envisager comme une option professionnelle. Forcément, j’admire.
Valentin c’est le mec hyperactif qui a toujours 1 000 projets en cours, ce qui lui semble tout à fait normal : il ne se voit pas fonctionner autrement. Il donne alors l’impression que ses journées durent 48 heures, tandis que les miennes en font 12. Comment une telle distorsion du temps est-elle possible ?!
J’ai la vertu du travail : pour moi si tu es sérieux et tu bosses, tu arriveras toujours quelque part.
Avant tout, par une passion viscérale du travail : « J’ai la vertu du travail : pour moi si tu es sérieux et tu bosses, tu arriveras toujours quelque part. Si tu te donnes à fond – tu bosses, tu bosses, tu bosses – tu te crées les opportunités qui vont dans le bon sens. Et même si tu n’arrives pas à ton objectif, tu auras appris quelque chose. En fait tu ne peux compter que sur toi-même… même si tu ne peux rien faire seul, ça c’est évident. » Dans ces mots, je perçois une énergie contagieuse, celle qui déplace des montagnes – ou seulement un petit caillou, mais derrière lequel on trouvera de l’or.
Je suis fascinée – et perplexe : comment savoir s’il vaut mieux mettre son énergie à déplacer telle ou telle montagne ? Ou ce caillou ? Ou, tiens, plutôt ce tas de sable ? Comment être sûr de bien utiliser son temps et son énergie ?! Comment savoir si on fait le bon choix ?!? « Tu ne le sauras presque jamais. Si tu vas dans une direction qui te plaît, il arrivera toujours des choses. Avec le temps cela te plaira peut-être moins : pas de problème, il n’y a aucun choix définitif, change de direction. Peut-être que ce que tu as posé dix ans auparavant se réveillera à ce moment-là. Mais tout ce que tu auras fait dans cette direction t’aura appris des choses : donc ce n’était pas un mauvais choix. »
S’il pleut, tu peux sourire sous la pluie, tu peux être content qu’il y ait de la pluie.
Je commence à comprendre notre différence de perception du temps : c’est une histoire d’enjeu. Pour Valentin, le temps passé à faire quelque chose aura toujours de la valeur, ce sera une richesse de plus dans son bagage. Alors qu’à mes yeux, si je me suis trompée, c’est du temps de perdu. Bonjour l’angoisse.
Le contraste entre ces deux états d’esprit me laisse songeuse. Je prends la pleine mesure de l’impact de mon pessimisme, mais je sens que je peux le maîtriser. « Le bonheur ça se décide : tu décides de voir les choses de manière positive. S’il pleut, tu peux sourire sous la pluie, tu peux être content qu’il y ait de la pluie. Tu peux être mécontent aussi qu’il y ait du soleil. Tu choisis ton état. »
J’essaie de m’imprégner de cette pensée : chaque chemin peut être merveilleux, il suffit de l’envisager comme tel – plutôt que d’avoir l’impression de jouer sa vie à chaque carrefour… « En fait je fais simplement le choix de ce qui me fait vibrer, et de ce qui se développe. Là, des projets en tant que comédien se développent : je mets beaucoup d’énergie dans le théâtre, notamment avec mes formations, donc il y a plein de choses qui arrivent. Mais je n’ai pas envie qu’il n’y ait que ça. J’aimerais bien pouvoir écrire, peut-être mettre en scène, pouvoir écrire des nouvelles, des romans. J’aimerais bien aussi pouvoir continuer à bosser sur des tournages. Donc il y a plein de choses qui me plaisent… Mais je me laisse porter. En fait j’ai l’impression d’avoir une bonne étoile qui me met sur le chemin.«
En écoutant Valentin, je fais connaissance avec sa bonne étoile qui semble avoir beaucoup d’inspiration. À l’été 2016, elle met sur sa route des personnes qui le guideront vers la méditation et l’improvisation. Dans ces deux univers, il retrouve ce que le métier d’ingénieur lui avait pris pendant trois ans : « Tu sais, c’est le quotidien, son petit cocon mimi qui te dit “Tout va bien”, qui te prend par la main et qui t’amène à la mort ! Le boulot m’a vidé, en fait. Ça m’a vidé tout moteur pour faire d’autres choses à côté. »
Le « oui » est balèze.
Avec la méditation, Valentin se recentre sur lui et ses désirs profonds. Il en est convaincu, son poste d’ingénieur le rend malheureux, il faudrait oser partir. Et c’est l’improvisation qui lui permettra de poursuivre ce cheminement. « L’’improvisation m’a beaucoup aidé : elle t’apprend à dire oui par réflexe, et à voir ce qui va se passer – plutôt que dire non. À une époque dans ma vie je disais plutôt non par sécurité. Et en impro, tu te rends compte que quand tu dis oui il peut se passer plein de trucs. Donc à un moment je me suis dit “Le oui est balèze”. Valentin, t’as envie de quitter ton taff ? Oui. OK, alors on le fait » .
Pensiez-vous que sa bonne étoile avait arrêté là son travail ? Oh non, une fois qu’on s’ouvre aux opportunités, notre bonne étoile a les coudées franches pour exprimer toute sa magie… Valentin me raconte ces rencontres inattendues, ces propositions incroyables, ces planètes qui s’alignent comme s’il était pile au bon endroit… À peine quelques semaines après avoir quitté sa boîte, il se retrouve à écrire le scénario d’une web-série, à travailler sur des tournages, et à faire ses premiers pas de comédien… tout en poursuivant l’improvisation qui le fait vibrer.
« Je m’éclatais : tout ce que mon boulot m’avait pris, comme la confiance en moi pour faire des choses, l’impro me le redonnait. Sur scène j’osais, j’y allais… alors que dans la vie, à cause de mon boulot j’y allais moins. L’impro me disait : vas-y, retrouve-toi. »
Tout, tout, tout est chez l’autre !
Valentin parle de l’improvisation avec une réelle passion. Mais aujourd’hui, pour se professionnaliser en tant que comédien, il enchaîne ateliers et formations de théâtre. Alors préfère-t-il le théâtre ou l’improvisation ? « Question difficile… En impro je suis au contact de mes émotions et de ce qui vient, c’est plus facile : si quelque chose me vexe, je suis vexé et mon personnage l’est aussi. Lorsque j’ai commencé le théâtre après un an d’impro, j’étais bloqué : la scène tu la répètes, tu la répètes, tu connais le texte par cœur, tu sais exactement ce que ton partenaire va te dire… Alors comment amener une émotion, je sais ce qu’il va dire, je ne peux pas être vexé ?! J’étais paumé ! Et en fait j’ai choisi d’attaquer mes scènes en me disant que c’est une impro et que je ne sais absolument pas ce qui va se passer. Vraiment, je ne regarde que l’autre et ce qu’il va faire, j’essaie d’oublier mes tâches (je fais confiance à mon corps sur ce qu’il va devoir faire) : tout, tout, tout est chez l’autre. Je me mets dans le même état d’écoute et de présence qu’en impro. A ce moment j’ai retrouvé du naturel dans mes réactions. »
Mais il doit bien y avoir un avantage au théâtre, pour qu’il décide de s’y lancer ? « L’avantage du théâtre c’est que tu peux construire un discours. Tu peux bosser ton sujet, tu peux écrire des scènes qui vont dire des choses, tu peux les construire réellement, tu peux vraiment leur donner un sens précis. La mise en scène va porter le discours, il va aller dans un certain sens. Le théâtre c’est intéressant parce que ça peut être politique ou philosophique. »
Ces mots-là, Valentin les prononce près de deux heures et demi après le début de notre discussion – lui qui ne savait pas trop quoi me raconter, paraît-il. Le discours m’accroche : c’est important de faire passer un message ? C’est pour cela qu’il souhaite se lancer dans ce métier ? « Oui… Il y a plein de choses qu’on peut faire avec le théâtre. J’ai fait des études et monté une boîte qui devaient me permettre de contribuer à préserver l’environnement, à sauver la planète. Mais j’ai pris un mur en voyant que les gens et les pouvoirs publics s’en foutent. Je me suis rendu compte que le discours scientifique et la logique cartésienne, pour comprendre que le monde va mal, ça ne passe pas. Ça a été très dur pour moi. Mais en parallèle, j’ai découvert que par l’émotion tu fais passer des messages énormes. Parce que là les gens n’ont plus de barrière, ils écoutent. »
« Dans mon travail de comédien, ce que je vois c’est que parfois je peux faire passer des choses par l’émotion notamment parce que le théâtre, l’impro, ça rassemble les gens, ça les fait se connaître eux-même et ça les connecte. Peut-être qu’avec le théâtre, via l’émotion, je pourrai faire changer les choses d’une autre manière, transmettre des choses différemment. »
Quel discours… Un peu naïf, peut-être ? En tout cas, ce n’est pas l’avis de la bonne étoile de Valentin. Cette dernière, décidément surentrainée, l’a mis en janvier dernier sur son premier contrat de comédien professionnel, dans une compagnie de théâtre forum. Ces comédiens interviennent dans les collèges et les lycées pour jouer des pièces sur des sujets de société : le respect, la violence, la contraception… Ils mènent une action de sensibilisation en écrivant leurs scènes puis en les jouant dans les établissements scolaires. Alors que Valentin me décrit cette mission, je suis subjuguée : n’est-il pas exactement à la place qu’il souhaiterait occuper dans l’univers ?! Il écrit des messages auxquels il adhère et qu’il souhaite transmettre, il les joue… Lui manquerait-il quelque chose à cette place ?
Il réfléchit et, avec honnêteté me répond : « Ça dépend à quelle échelle. Parce que le théâtre-forum c’est dans les lycées, les collèges, et je pense qu’il y a une échelle encore plus grande où on peut aller. »
Quel serait alors ce fameux message à transmettre à grande échelle ? L’environnement semble l’avoir guidé un instant, mais est-ce réellement son leitmotiv ? « L’environnement c’est du global, en fait. Quand les gens sont trop centrés sur eux-même, ils ne pensent qu’à leur plaisir égoïste, donc forcément l’environnement passe à la trappe. Tandis que si tu commences à les connecter aux autres, tu les fais réfléchir d’une manière plus globale aux choses, et donc tu les amènes à se connecter à l’environnement et à leur planète. J’ai envie de dire aux gens “Ouvrez les yeux”. Parce que quand tu es centré sur toi tu peux fermer les yeux, tu t’en fous des autres. Mais quand tu ouvres les yeux… Ah, il y a des gens autour, il y a des arbres, il y a des animaux ! En fait je pense que c’est ça mon message : décentrez-vous et ouvrez-vous. »
Chaque voix est importante !
Certes, le message est plein de bon sens. Mais comment Valentin peut-il considérer que ce qu’il a à dire est intéressant ? Il réfléchit puis me rétorque « Pourquoi ça ne le serait pas ?! » J’avoue ne pas trouver de répartie (d’où le fait que, malgré la publicité qu’en fait Valentin, l’impro me terrifie laisse délicieusement indifférente). « Je pense que tout le monde a quelque chose à dire. Je ne considère pas que mon message est meilleur qu’un autre, mais c’est le mien, c’est celui auquel j’adhère, c’est celui auquel je crois : donc j’ai envie qu’il soit entendu. Je pense que toute personne a une vision de la vie qui serait passionnante à découvrir. Prenons le café où nous sommes : dans cette salle on pourrait tous se nourrir et sortir grandi de ça, de chaque parole [« se nourrir », dans un café… humour d’improvisateur]. Il n’y a pas une parole qui va être plus importante qu’une autre. Toutes les personnes ici ont le don de nous faire réfléchir. Même quelqu’un qui est à l’opposé de mon message. Donc chaque voix est importante ! »
Saisissez-vous toute la beauté de ce propos ? Lorsque que je cherche à savoir si ma voix mérite d’être entendue, je la compare avec celle des autres en me demandant si elle a plus de valeur. Valentin, lui, accorde la même importance à toutes les voix – y compris la sienne. Effectivement, à ce moment il n’y a plus d’enjeu, autre que celui de partager et s’ouvrir aux autres.
Je relis mes notes… Le verbe « ouvrir » revient souvent dans le discours de Valentin : ouvrez-vous, ouvrez les yeux, s’ouvrir aux autres, s’ouvrir à l’impro, s’ouvrir aux opportunités…
Valentin, cela semble être ton verbe ! Ça te va ? « Oui j’aime bien ! Parce que j’aime bien faire des câlins, et j’ouvre les bras pour ça ! »
OK, drop the mic, on ne fera pas mieux pour conclure cet entretien. Faisons-nous donc un câlin !